Depuis toujours, le village de Dvernik est protégé des assauts du Bois – une forêt maléfique douée d’une volonté propre – par le « Dragon », un puissant magicien. Celui-ci, en échange de ses services, prélève un lourd tribut : à chaque génération, la plus jolie jeune femme de la communauté disparaît dans sa tour. Cette année, c’est Kasia qui sera choisie. Forcément, c’est la plus belle, la plus populaire. Personne n’en doute, et encore moins Agnieszka, qui n’a jamais voulu de cet honneur. Mais les choses ne vont pourtant pas se passer comme prévu, et Agnieszka va découvrir un monde au-delà de l’entendement…

First impressions :  Comme beaucoup de romans qui finissent dans ma bibliothèque, j’ai choisi celui-ci en fonction de sa couverture. Oui, je sais : c’est mal de juger un livre à sa couverture ! Et pourtant, celle-ci avait quelque chose de profondément mystérieux et d’enchanteur. Et puis, cette histoire de « Dragon » a tout de suite piqué ma curiosité. Je crois que, à la lecture du résumé, je m’attendais presque à une nouvelle version de Barbe Bleue ! Et pourtant, l’histoire n’a absolument rien à voir avec un serial noceur zigouilleur…

Je me retins de le dévisager bouche bée, sans savoir ce qui me stupéfiait le plus. Il était le Dragon : il avait toujours vécu dans cette tour et y vivrait éternellement, figure aussi immuable que les montagnes de l’ouest. L’idée même qu’il ait pu habiter ailleurs, qu’il ait un jour été jeune, semblait inenvisageable. Dans le même temps, je n’arrivais pas à croire qu’il ait pu tomber amoureux d’une femme, désormais morte depuis plusieurs décennies. Son visage m’était à présent familier, mais je me remis à l’observer avec le sentiment de la nouveauté. Les petites rides au coin de ses yeux et de sa bouche étaient le seul détail trahissant son âge. Tout le reste faisait de lui un jeune homme : son profil droit et robuste, ses cheveux pas encore grisonnants, sa joue pâle et lisse, ses longues mains gracieuses. J’essayai de me le figurer en jeune magicien courtisan – ses beaux vêtements lui conféraient presque un air de jeune noble convoitant une adorable dame -, mais l’imagination me faisait défaut. Pour moi, il n’était que livres et alambics, bibliothèque et laboratoire.

Les ☑ : La magie décrite dans le roman (car oui, il y est question de sorciers) a quelque chose de profondément instinctif, tour à tour proche de, ou contre nature. Un peu comme si l’on remontait aux bases de la magie, qui trouve sa source dans l’essence profonde du monde, de la nature, et de ses forces vives.

La vision décrite par Naomi Novik est d’une poésie sublime, parfois cryptique, mais toujours ensorcelante. Il y a quelque chose d’élémentaire, dans les différents pans de son histoire. Ensorcelante, poétique, et incroyablement dure et cruelle par moments. Le combat contre le Bois et ses serviteurs, les forces maléfiques en présence, donnent lieu à des passages intenses, pleins de fureur. Les pages grondent littéralement de colère, et l’on se surprend, à un point du roman, à ne plus savoir à quel saint se vouer.

Le dénouement, insoupçonnable, éclaire d’une lumière nouvelle les pages qui l’ont précédé, confirmant le talent de l’auteure pour nous entraîner dans un univers riche, organique, palpitant de bout en bout.

J’ai vraiment adoré le personnage d’Agnieszka, curieuse, intuitive, aussi spontanée que passionnée. Et surtout celui, beaucoup plus complexe, du Dragon, ce magicien solitaire qui vit reclus dans sa tour et protège la vallée au prix d’efforts insoupçonnés. J’ai aimé qu’il soit l’opposé exact d’Agnieszka : aussi bourru qu’elle est rieuse, aussi sombre qu’elle est lumineuse (tiens, ça me rappelle quelqu’un…)

Leur relation est au cœur du roman : la façon dont ils s’apprivoisent l’un l’autre, et comment ils font ressortir le meilleur de l’autre, même lorsqu’ils ne s’y attendent pas. Mais ça ne se fera pas sans difficulté, loin de là ! C’est une régalade d’assister à leurs échanges, souvent tumultueux, ô combien ! Leurs joutes sont jouissives, leurs moments d’abandon… Hum.

Il leur faudra dépasser leurs différends pour triompher de la malédiction qui s’est abattu sur le Bois et menace les habitants de la vallée… et peut-être de tout le royaume.

Les ✖ : Je dois avouer que j’ai été un peu perdue avec cette histoire de bois maléfique, ses arbres cœurs, et toutes ces petites choses qui doivent avoir trait au folklore polonais (on évoque même Baba Yaga). En clair, les lieux, les noms et ce qui fait la malédiction nous sont peu familiers. C’est pourquoi, à plusieurs reprises dans le récit, j’ai achoppé sur certains passages.

Je pense qu’il est bon de le lire deux fois : la première, pour la découverte, la seconde, pour la compréhension. Car cette histoire fantastique, qui s’apparente à un conte, regorge de détails subtils.

In the end : J’ai été désarçonnée plus d’une fois par ma lecture, et j’ai adoré ça ! Je n’avais aucune idée d’où j’allais, de ce que me réservais l’auteure, et c’était génial autant qu’inconfortable par moments de se laisser emporter comme ça, dans un univers qui ne ressemble à aucun autre. Et, croyez-moi, Déracinée mérite qu’on se jette à corps perdu dans ses page, sans a priori, sans réticence. L’enchantement et la plume maligne de Naomi Novik se chargent du reste !

Un énorme coup de cœur. Allez-y les yeux fermés si ce n’est déjà fait (enfin non : les yeux grands ouverts, c’est mieux pour lire !).