Dame Zera Y’shennria fait son entrée à la cour de Vétris en tant que Fiancée du Printemps. Elle doit y être présentée au prince Lucien d’Malvane, héritier du royaume du Cavanos. Mais Zera n’est pas une princesse comme les autres. D’abord, ça n’est pas une princesse du tout : elle infiltre la cour sous la houlette de Dame Y’shennria, en tant que sa nièce fraîchement débarquée de sa lointaine campagne. Mais, surtout, Zera est une Sans-cœur, forcée d’obéir aux desiderata de la sorcière Chantenuit qui possède son précieux organe et la tient sous sa coupe telle une morte-vivante. Car, à cause ou grâce à ce maléfice, Zera ne peut pas mourir. Pire : elle est sommée par les sorciers de ramener le cœur du prince Lucien. Le fils du roi Sref, farouche opposant aux sorciers, leur servira de monnaie d’échange pour éviter une guerre éminente. Ils ont tout prévu. Sauf qu’un cœur absent peut malgré tout s’éprendre de celui d’un vivant.

 » Il y a deux choses que les hommes croiront toujours au sujet d’une femme : qu’elle est bête et qu’elle est faible. Et je ne suis ni l’un ni l’autre. « 

Zera

First impressions : Bon sang mais quelle intro, déjà ! D’emblée, Sara Wolf pose les bases de son univers et, surtout, présente son héroïne au caractère bien trempé ! Zera est un diamant brut. Spirituelle, vive d’esprit et impertinente, j’ai adoré son sens de la répartie et sa dérision à toute épreuve. Elle incarne un personnage à la fois extrêmement fort – elle est immortelle, après tout – et incroyablement fragile, rongée par les remords et le dégoût d’elle-même pour tout ce qu’elle a pu faire sous l’emprise de la Faim. N’est-elle pas un monstre, déguisé en lady ? Sa conscience aiguë des horreurs qu’elle a commises en tant que Sans-cœur est un véritable crève-cœur. Il est d’ailleurs étonnant de noter que l’avoir privée de cœur l’a aussi privée de ses souvenirs, mais pas de sa conscience, ni de son sens moral… Cruel destin que le sien.

Photo @ashtraybooks

Les ☑ : Dés son énoncé, on sait que le plan des sorciers pour empêcher la guerre, et qui repose entièrement sur Zera, est voué à l’échec. Malgré les enjeux élevés pour la jeune fille – récupérer son cœur, donc redevenir mortelle et surtout libre de ses choix – il est évident qu’elle ne parviendra jamais à troquer son cœur contre celui de l’impétueux et si diablement attachiant Lucien (un poil trop stéréotypé à mon goût, dans le genre prince rebelle torturé… mais il est vraiment craquant). D’abord, parce que pour une Sans-Cœur, Zera en a à revendre ! Elle est d’une générosité – sélective, certes – à toute épreuve. Et puis parce qu’il tombe sous le sens que ce genre de mission vire toujours à la romance. Dés lors, on se délecte de la valse hésitation entre les deux tourtereaux, qui s’enflamment presque illico l’un pour l’autre, reconnaissant en chacun ce besoin urgent de liberté et de justice dont ils sont tous deux farouchement épris. Et leurs échanges sont justes jouissifs ! Presque autant que ceux entre Zera et Malachite, le garde-du-corps et meilleur ami de Lucien.

Mais moins que ceux avec Y’shennria, la « tante » de Zera. Leur défiance mutuelle assujettie à leur partenariat contre nature subjugue littéralement. Il y a une telle force dans cette femme au destin douloureux ! Une impératrice. Voilà comment je me la représente. La même élégance, la même aura de puissance maîtrisée, d’élégance dangereuse. Une volonté de fer dans un écrin de velours. Je l’ai immédiatement reconnue dans le personnage de Lady Danbury interprétée à l’écran par la fantastique Adjoa Andoh dans La Chronique des Bridgerton sur Netflix (vu, mais pas lu).

C’est le très gros point fort de cette histoire : ses personnages de femmes fortes et inter-dépendantes qui se sont construites sans les hommes, ou plutôt malgré eux, à l’image de la timide Fione par exemple.

Les ☒ : J’ai regretté ne pas en apprendre d’avantage sur la sorcière Chantenuit, dont les manières semblent différer de celles des autres membres de son clan, et la reine est pratiquement le seul personnage féminin qui reste absolument dans l’ombre. J’ai aimé l’univers décris par Sara Wolf, même s’il se concentre un peu trop sur Vétris, la capitale du Cavanos, et le palais des d’Malvane. Quelques détails en plus sur le continent des Brumes n’auraient pas été de trop. Sa formation reste floue, tout comme sa géopolitique morcelée. Quant à ses religions, de nombreuses fois évoquées parce qu’au cœur du récit finalement, il faudra attendre pour en apprendre plus, de même que sur ces trois lunes mystérieuses qui baignent Vétris de nuances rouges et bleues. C’est dommage parce que cet univers a l’air foisonnant, mais j’ai eu la sensation frustrante de rester en bordure de celui-ci tout le long de ma lecture. Moi qui affectionne tant les mondes alternatifs complexes, je suis restée un peu – et c’est le cas de le dire – sur ma faim !

In the end : A cet égard, la thématique de la FAIM justement, ce mal étrange qui ronge Zera, est très bien employée et développée jusqu’au dénouement, littéralement hystérique, entre appétit galopant et dégoût absolu. La fin, d’ailleurs, m’a fait un sacré creux à l’estomac ! Je n’ai donc pas attendu longtemps avant de prendre des nouvelles de Zera et Lucien avec Donne-moi ton cœur **, vous vous en doutez bien ! Mais ceci fera l’objet d’une prochaine review…